Porsche - La quête du son

La quête du son

718 Boxster (WLTP)*
9,2 – 8,9
l/100 km
209 – 201
g/km
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Harmonie : L’identité sonore d’un modèle Porsche doit correspondre à sa personnalité. C’est pourquoi le moteur six cylindres, plus volumineux, s’exprime avec une belle voix de basse, même dans les hauts régimes.

Artisans de la signature sonore des modèles de la marque, les acousticiens composent la mélodie des nouveaux modèles Porsche. Moteurs Boxer ou moteurs électriques, les spécialistes Porsche du Centre de développement de Weissach écrivent la partition qui définit l’identité sonore de chaque nouvelle gamme de motorisation.

Le silence le plus absolu se fait, les spectateurs retiennent leur souffle : la soliste entre en scène. Sa voix prend son envol. Elle se lance avec virtuosité dans une, puis deux coloratures, avant de baisser dans les graves, créant une certaine tension dramatique. Encore quelques mesures, et la voix part crescendo, s’accélère et fait la démonstration de toute l’étendue de sa tessiture, de la basse au soprane en passant par le ténor. Le bouquet final explose en un furioso impétueux : le spectateur est sous le charme. C’est la fin de l’enregistrement, et Bernhard Pfäfflin se fend d’un large sourire : « Merveilleux, non ? »

Ce bref enregistrement d’un solo interprété par la 911 témoigne des caractéristiques fondamentales de sa signature sonore : un son qui joue sur une grande variété de tonalités et un large spectre de fréquences. Chaque modèle de la marque doit s’en inspirer. L’identité sonore de Porsche se différencie du grondement sourd des Américaines et du caractère frénétique des Italiennes. Le timbre et la puissance dépendent de la charge du moteur, et donc concrètement de la pression exercée sur la pédale de l’accélérateur. « Nous entendons donner au conducteur une information supplémentaire lorsqu’il est au volant », explique Bernhard Pfäfflin. Cet homme de 49 ans est Directeur de développement des techniques vibratoires et acoustiques – autrement dit, il est responsable du son Porsche.

Le son de chaque modèle doit coller parfaitement au caractère de la voiture. Pour une GT3 par exemple, il faut du son à l’état brut, sans compromis. Pour Bernhard Pfäfflin, c’est essentiel : « Le son d’une voiture, c’est l’expression de sa puissance. » Au placard les sons synthétiques, place à la musique organique avec ses instruments acoustiques. Et ils s’accordent si bien que l’harmonie du son Porsche reste intacte, quelle que soit la sollicitation du moteur.

Pour parvenir à cette harmonie, Bernhard Pfäfflin ne se contente pas d’attendre que les ingénieurs châssis et les ingénieurs motoristes construisent les premiers prototypes. La quête du son commence très en amont. Dès les premières modélisations numériques du groupe motopropulseur et de la voiture, l’acousticien Bernd Müller travaille aux innombrables variantes de systèmes d’échappement et de silencieux. À ce stade, il s’agit pour lui d’anticiper les incidences des différentes configurations sur le son émis par la voiture. Spécialiste de l’acoustique des flux de gaz, il collecte des quantités de sons dans des centaines de fichiers audio. Pour Bernd Müller, le miracle de la numérisation permet « d’écouter chanter une voiture avant même qu’un prototype physique ne voie le jour. » Avec l’aide de ses collègues expérimentés, l’acousticien sélectionne alors trois ou quatre candidats parmi une multitude de variations sonores. Ces échantillons sonores sont ensuite soumis à la direction de l’entreprise où, selon Bernd Müller, les débats autour de l’identité sonore sont tout aussi animés qu’une discussion sur le design d’une voiture. Dès que la décision est prise, l’acousticien commence alors à définir les caractéristiques du système d’échappement capable de produire le son retenu. Du diamètre des tuyaux aux dimensions du silencieux, il détermine les paramètres essentiels qui permettront au son Porsche de résonner sur les routes du monde entier.

Porsche 718 Boxster, four-cylinder engine - Sound level illustration
Porsche 718 Boxster, four-cylinder engine
Sound level illustration
Porsche 911 Carrera, six-cylinder engine - Sound level illustration
Porsche 911 Carrera, six-cylinder engine
Sound level illustration


Bernd Müller est acousticien dans l’âme. Il exerce son métier avec passion depuis une vingtaine d’années. Sa tâche serait achevée depuis longtemps si les ingénieurs motoristes Porsche ne s’évertuaient pas sans cesse à concevoir de nouveaux moteurs. La généralisation des moteurs turbocompressés sur certaines gammes, le retour des quatre cylindres après plusieurs années d’interruption, l’arrivée des modèles hybrides rechargeables et l’annonce de la future berline sportive 100 % électrique : autant de défis fascinants à relever pour l’acousticien et autant d’étapes majeures pour Porsche.

Un tuba dans le système d’échappement

Avec les nouveaux moteurs Boxer turbocompressés de 3,0 litres, la nouvelle 911 Carrera gagne en accélération. La version de base abat désormais le 0 à 200 km/h en 14,8 secondes, soit près d’une seconde de moins que sa devancière. Si la montée en couple est si rapide, elle le doit avant tout à deux turbocompresseurs qui alimentent chacun une rangée de cylindres. Cela procure au conducteur une formidable puissance d’accélération. Pour Bernd Müller, cette nouvelle motorisation représente un double défi à relever. D’une part, comme les flux de gaz d’échappement issus du moteur sont tout d’abord acheminés vers la turbine du turbocompresseur, la vitesse d’écoulement des gaz varie, ce qui a une incidence sur le son émis. En effet, certaines hauteurs de son étant plus atténuées que d’autres, cela entraîne un glissement du spectre de fréquences dans son ensemble.

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Chefs d’orchestre : Bernhard Pfäfflin (à gauche) et Bernd Müller apprécient le son du moteur six cylindres.

D’autre part, les turbocompresseurs, dont les turbines peuvent atteindre une vitesse de rotation de 200 000 tr/min, produisent un son tout à fait caractéristique : le fameux sifflement du turbo. Loin d’être désagréable en soi, ce son est avant tout la promesse d’une puissante accélération. Il convient toutefois d’éviter de perturber le conducteur par un son continu lors des trajets sur autoroute à vitesse élevée. Bernd Müller a trouvé les solutions techniques permettant de relever ces deux défis. Ainsi, certains éléments dynamiques de la soupape de décharge (la wastegate), qui permet de réguler l’arrivée des gaz d’échappement dans le turbocompresseur, sont également commandés en fonction de critères acoustiques. Restait alors pour les acousticiens Porsche à répondre à un souhait exprimé par les clients : le système d’échappement sport, qui constitue une option supplémentaire dans la configuration acoustique. Il a fallu lui donner une tonalité encore plus vigoureuse, et ce malgré l’effet atténuateur produit par le turbocompresseur. L’équipe de Bernd Müller a trouvé la solution : la conception d’un silencieux arrière modifié, combinée au positionnement central des sorties d’échappement, permet d’accentuer les basses. Ces modifications ont permis de disposer d’une certaine longueur de tuyau entre le catalyseur et l’embouchure d’échappement. Comme sur un tuba, la hauteur de son varie avec la longueur de l’instrument.

Asymétrie et résonance

Au printemps, Porsche a dévoilé le 718 Boxster avec une nouvelle génération de moteurs quatre cylindres : une motorisation que la marque n’avait plus proposée sur ses modèles depuis une vingtaine d’années avec l’arrêt de la production de la 968 au milieu des années 1990. Au sein de l’orchestre Porsche, le moteur Boxer du 718 Boxster est un instrument tout à fait nouveau.

Le son fondamental d’un moteur dépend en premier lieu du nombre de cylindres. Sur un quatre cylindres, il y a deux allumages par rotation du vilebrequin. Sur le plan acoustique, ce sont tout d’abord les vibrations du deuxième ordre qui prédominent : le son produit par ce type de moteur est en soi un peu brut. Pour y introduire des nuances sonores, les acousticiens et les ingénieurs motoristes de Weissach ont trouvé une solution astucieuse et élégante : donner une forme volontairement asymétrique au collecteur d’échappement qui achemine les gaz au turbocompresseur. Les harmoniques ainsi créés (multiples de la fréquence fondamentale) produisent alors un timbre agréable, bien plus rond.

Le système d’échappement du 718 Boxster permet d’affiner encore le son. Pour cela, à la sortie du catalyseur, les flux de gaz d’échappement sont répartis entre deux conduits de longueur différente. Le tuyau le plus court débouche sur un silencieux classique, qui sert avant tout à faire baisser le niveau sonore. Quant à l’autre tuyau, le plus long, il conduit tout d’abord vers un résonateur de Helmholtz. C’est à Hermann Ludwig Ferdinand von Helmholtz, scientifique berlinois du XIXe siècle, que l’on doit cette invention. Comme c’était souvent le cas à cette époque, Hermann von Helmholtz était un scientifique pluridisciplinaire qui s’est intéressé aux cellules nerveuses, aux principes de conservation de l’énergie et aux champs magnétiques. Le résonateur éponyme constitue toutefois la découverte qui lui valut de passer à la postérité. Ce système consiste en une cavité remplie d’air, dotée d’un unique orifice. L’écoulement d’un flux d’air pulsé au niveau de l’orifice fait vibrer l’air contenu dans la cavité, ce qui produit un son. En fonction des dimensions du dispositif, la fréquence propre du résonateur peut produire une tonalité définie ou supprimer une tonalité existante : un véritable atelier de création sonore qui permet d’obtenir ce timbre caractéristique émis par les deux sorties d’échappement, si agréable à l’oreille humaine.

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Sound System : L’échappement du nouveau moteur de la gamme 718 donne le ton. La position centrale des sorties d’échappement permet de créer une plus grande caisse de résonance.

Composition pour moteur électrique

Avec le développement de la version de série de la Mission E, c’est un tout autre défi qui attend les acousticiens de Porsche. Car si la voiture 100 % électrique impressionne généralement par sa capacité d’accélération, elle brille aussi souvent par son niveau sonore extrêmement faible et la prédominance des fréquences élevées. Certes, dans certaines circonstances, le silence est d’or, notamment quand on ne veut pas réveiller toute la maisonnée au petit matin. Mais en ville, il est tout de même préférable pour les piétons et les cyclistes de pouvoir anticiper l’arrivée d’une voiture avant de l’apercevoir. Dans certains pays, notamment aux États-Unis, des projets de loi visant à instaurer un niveau sonore minimal pour les véhicules de tourisme sont d’ores et déjà à l’étude. Il a donc fallu imaginer un nouveau son, mais lequel ?

Avant toute chose, Bernhard Pfäfflin et Bernd Müller se sont interrogés : comment exprimer la personnalité de cette voiture ? Une chose est certaine : fidèles à la philosophie Porsche, les acousticiens ne donneront jamais à une voiture une identité sonore qui ne lui correspond pas. Hors de question donc d’entendre un jour une Porsche avec un son synthétique à la Star Wars. « Les clients Porsche ne pourront pas changer le son de leur voiture électrique comme ils téléchargent la nouvelle sonnerie de leur téléphone portable », explique Bernhard Pfäfflin. Par ailleurs, les experts de Porsche estiment que pour un produit aussi nouveau et une technologie aussi novatrice, il ne serait pas judicieux de sonder l’opinion du public.

« Chaque client a un avis tout à fait personnel sur la question », explique Bernhard Pfäfflin, « Comment juger d’une symphonie inachevée ? Nos clients attendent de nous que nous ouvrions la voie. » La signature sonore de la version de série de la Mission E est encore à l’étude. Une chose est sûre : les acousticiens sont appelés à jouer un rôle de plus en plus important dans le développement des voitures. En effet, malgré la puissance toujours plus élevée des haut-parleurs internes et externes, la tendance est à la baisse du niveau sonore général. Il importe donc d’éviter l’émission de bruits parasites, qu’il soit d’origine mécanique ou qu’il s’agisse du sifflement provoqué par le vent relatif à vitesse élevée. Pour Bernhard Pfäfflin et Bernd Müller, la collaboration étroite avec les ingénieurs de développement, notamment lors des essais en soufflerie, permet au final de produire le son Porsche dans toute sa pureté. Et si la moindre fausse note survient lors des essais, les deux acousticiens ont un atout majeur qu’ils ont déjà sorti lorsqu’ils travaillaient sur des modèles équipés de moteurs thermiques : la caméra acoustique. Grâce à l’action combinée de capteurs photographiques et de microphones directionnels, il est en effet possible de visualiser les sources de bruit et d’en localiser l’origine dans le moindre recoin de la voiture.

Grand opéra

Les acousticiens Porsche ne sont pas des artistes, ce sont des ingénieurs et des physiciens. Ils étudient les vibrations créées lors du cycle moteur, calculent des flux et analysent des fréquences. Et pourtant, il leur arrive parfois d’être saisis par l’émotion pendant leur travail, notamment lorsqu’ils tombent, en fouillant dans leur base de données sonores, sur le timbre d’une voiture qui a inscrit son nom dans la légende du Mans. « Ça me donne la chair de poule », avoue Bernhard Pfäfflin. Le rideau se lève et le concert reprend, avec l’entrée en scène des nouveaux modèles Porsche. Qu’importe le moteur, pourvu qu’on ait l’ivresse des sons.

Texte Johannes Winterhagen
Photos Markus Bolsinger