Porsche - À pleine puissance dans les virages

À pleine puissance dans les virages

Pourquoi les versions les plus sportives de la Porsche 911 se sont-elles toujours aussi bien vendues en Suisse – alors qu’on n’y trouve aucun véritable circuit ? Rien de tel qu’une échappée dans les Alpes avec une meute de 911 R et RS pour trouver la réponse : à cause des virages, pardi !

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La meute :
Après l’échauffement dans les lignes droites, les plus beaux virages des Grisons ne sont plus très loin.

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Ligne idéale :
Dans les lacets du col de la Flüela, agilité et puissance sont de mise.

Les Alpes restent l’une des dernières grandes aventures de notre monde moderne. Et ici, en Suisse, elles sont à portée de main. Quoi de mieux que les sommets sauvages pour s’extraire rapidement de la civilisation pendant quelques jours ? Aucun autre endroit d’Europe n’offre une nature si brute et âpre, une météo aussi imprévisible. Nulle part ailleurs l’homme n’est ramené à son Moi anté-civilisationnel aussi radicalement qu’au plus près des montagnes. Voilà déjà quelques siècles que les intrépides et les risque-tout en quête de sensations fortes se sont pris de passion pour la montagne. Et qu’il s’agisse de Goethe, qui regarda la mort en face au col de la Furka où une tempête de neige l’avait surpris, ou de Hans Stuck, qui dans les années 1930 prit d’assaut le col du Klausen, moteur vrombissant, une roue toujours à la limite de l’abîme – l’adrénaline et la gloire ont toujours été la récompense de ces audacieux.

Avec l’arrivée des premières voitures de sport Porsche sur les routes d’Europe il y a 70 ans, les routes des Alpes sont tout à coup devenues source d’émotions radicales pour les automobilistes. Car où peut-on mieux goûter à l’agilité de ces petits bolides légers que sur les lacets des routes des cols ? Au volant d’une Porsche 356 (l’archétype le plus pur des voitures à moteur boxer), on sent la route dans toutes les fibres de son corps. Rien d’étonnant, puisqu’elle a été conçue dans une région de montagne. En 1963, les choses prennent une tournure encore plus dynamique avec la Porsche 911, qui donne au concept de « voiture de sport » une toute nouvelle dimension avec sa ligne culte et son moteur boxer six cylindres inimitable et qui, aujourd’hui encore, vole la vedette aux colosses de la catégorie encombrés de leurs 8 à 12 cylindres dès qu’il s’agit d’avaler des virages en épingles à cheveux. La Porsche 911 a toujours été un défi pour ceux qui la conduisaient. Vic Elford, grand pilote de rallye, a dit un jour : « Dès qu’on a compris sa dynamique physique et intériorisé son équilibre, une voiture devient prévisible et donc parfaitement sûre. Avec la 911, par contre, il faut trouver les mots, il faut la convaincre, la séduire au sens le plus littéral du terme ; et ne jamais essayer de l’énerver. »

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À toute vapeur :
Avec un peu de chance, on peut croiser le train de la ligne sommitale de la Furka.

La production n’était même pas lancée qu’au printemps 1965, la 911 faisait déjà ses débuts dans le sport automobile au rallye de Monte-Carlo, où Herbert Linge décrocha une remarquable cinquième place au volant d’un prototype proche du modèle de série. Quand la Porsche 911 S de 160 ch, encore plus rapide, fut présentée en 1966, il devint impossible de l’arrêter : une version sport venue tout simplement par la route rafla une victoire de catégorie aux 24 Heures du Mans, tandis que Vic Elford, lui aussi en 911, décrocha un titre de champion d’Europe des rallyes. Motivées par ces succès, les équipes de Zuffenhausen planchèrent sur de nouvelles versions de circuit, encore plus performantes. Ferdinand Piëch, neveu de Ferry Porsche, qui à 30 ans dirigeait déjà le département développement de la maison, mit au point avec le mécanicien des courses et pilote Rolf Wütherich une remarquable version légère de la Porsche 911. Tous les éléments qui n’étaient pas foncièrement indispensables furent éliminés, les tôles de métal et les vitres remplacées par de la fibre et du plexiglas, les poignées de portes et les feux arrière supprimés. La 911 de construction légère n’affichait plus que 800 kg sur la balance, au lieu des 1 030 kg de la Porsche 911 S de série. Aujourd’hui encore, la Porsche 911 R de 1967 est la plus légère de tous les temps.

Le potentiel de cette 911 de course de conception radicale était immense. En 1967, Jo Siffert et ses collègues d’équipe suisses engrangèrent même cinq nouveaux records du monde d’endurance à Monza au volant d’une Porsche 911. Pourtant, la 911 miraculeuse ne décrocha jamais le pompon du sport automobile : pour des raisons de politique interne, seuls 19 exemplaires sur les 500 nécessaires à l’homologation GT furent construits. Il a fallu attendre le début des années 1970 pour que les ingénieurs du sport automobile s’imposent à l’intérieur de la marque : la Porsche 911 Carrera RS 2.7, construite suivant le même principe de construction légère, est alors devenue l’une des voitures de circuit et de route les plus acclamées de tous les temps. Même à l’heure actuelle, le modèle 2.7 RS et le modèle R, encore plus rare, sont les versions routières les plus convoitées de la 911 d’origine, celles aussi qui se négocient le plus cher. Dans les générations suivantes de 911, les développeurs sont restés fidèles à cette conception puriste du sport automobile : les modèles RS de la 964 ou de la 993 sont aujourd’hui de véritables classiques et toujours de formidables machines, qui ne font qu’engranger de nouveaux records.

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Le calme après la tempête :
Après la montée au col du Stelvio, notre meute vrombissante s’offre une pause.

Pour les amoureux de la 911, la lettre « R » inscrite à l’arrière fait toujours figure de Saint Graal, comme on a pu s’en rendre compte en 2016, année où Porsche proposa une réincarnation en série limitée de l’icône du sport automobile et où les 991 exemplaires de la nouvelle Porsche 911 R trouvèrent preneur en moins de temps qu’il n’en fallait aux équipes commerciales des Centres Porsche pour prononcer les mots « flat-6 atmosphérique 4.0 l » et « boîte mécanique GT à 6 rapports ». Quant à la mention RS, elle reste porteuse, dans la série actuelle de 991, de la lutte des ingénieurs de Weissach pour repousser un peu plus les limites de la physique à chaque nouveau modèle de GT3 RS ou de GT2 RS. Quel plus bel hommage au glorieux passé de la marque aurait-on donc pu imaginer pour le 70e jubilé de voitures de sport chez Porsche qu’une équipée sauvage de 911 R et RS lancées à l’assaut de 1 400 km des plus belles et des plus difficiles routes des Alpes ?

Voilà donc, par un beau matin d’été (ciel bleu, air pur et frais), cinq modèles actuels de Porsche 911 R et trois Porsche 911 GT3 RS, accompagnées d’une 911 Carrera RS de 1994, faisant vrombir leur moteur dans les courbes douces du col de l’Ofen. Direction : l’Engadine. Les lacets légendaires du col du Stelvio ont servi d’échauffement, puis les virages ombragés du col de l’Umbrail ont porté les freins en céramique à température adéquate. L’itinéraire est prêt : de Basse-Engadine, montée vers le col de la Flüela, passage du col de l’Albula vers les hauts plateaux, Saint-Moritz, Sils-Maria, jusqu’au col de la Maloja, puis redescente par Splügen et le San Bernardino vers le Tessin, pavés historiques du val Tremola, remontée vers Andermatt, et trois cols pour finir : le Susten, le Grimsel et le Nufenen. Une Mille Miglia des Alpes,

Malgré les aptitudes sportives de la meute, l’objectif est loin d’être la vitesse : un col alpin n’est pas un circuit, et pour qui veut voir l’aiguille du compteur bondir, la boucle nord du Nürburgring est mieux indiquée. Mais les 911 R et RS ont cette particularité qui les distingue de la majorité des voitures de sport tout confort et polyvalentes, de savoir créer une proximité inégalée avec l’asphalte, le pilote fusionnant pour ainsi dire avec la route. Le moindre relief de la chaussée, le moindre virage se ressent au plus profond du corps, aucune aspérité n’est évacuée par des systèmes d’amortissement trop prudents. On vit toute l’architecture, l’âpreté des routes, les forces crissantes qui se dégagent quand on rétrograde en descente, la morsure des freins et les forces centrifuges dans les virages : une expérience si directe que le pouls bat au rythme du moteur à aspiration et que les frontières entre la main et le volant, entre le pied et l’accélérateur, s’abolissent un peu plus à chaque lacet. Il n’y a qu’en moto, ou sur la selle d’un vélo de course, que cette expérience alpine pourrait être plus immédiate encore qu’au volant de nos bolides puristes.

Bien sûr, entre la Porsche 911 Carrera RS de 1994 et la Porsche 911 GT3 RS de 2017, il y a un monde : encore plus de high-tech, plus de performance, plus de sécurité, plus de poids. Pourtant, de la 911 R de 1967 à la Carrera RS de 1972, la philosophie est indéniablement restée la même. À la base du succès, une recette unique, celle de la Porsche 911, qui n’a eu besoin en 50 ans que de menues améliorations et adaptations pour gagner encore quelques dixièmes de seconde. On peut le voir dans les records au tour que bat chaque nouveau modèle RS, c’est devenu une tradition. Mais on peut aussi en faire l’expérience dans sa chair, sur la route déserte d’un col alpin, par un petit matin clair. C’est encore bien plus impressionnant. Les clients suisses de Porsche le savent bien et restent fidèles depuis des décennies aux versions les plus sportives. Car quel besoin aurait-on de faire rouler sa Porsche 911 R ou RS sur un circuit quand on a de telles routes de rêve juste à sa porte ?

Texte Jan Baedeker
Photos Stefan Bogner