Porsche - Poésie et précision

Poésie et précision

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Alfredo Häberli

Alfredo Häberli – un nom qui sonne comme un programme. Qui annonce des origines argentine et suisse présageant d’une personnalité à la fois expansive et pragmatique. Le nom d’un designer d’intérieurs, d’accessoires et de scénographies fascinants mêlant la recherche d’esthétisme et de fonctionnalité.

Envahis par le même sentiment que devant une vitrine de Noël, nous voyons une pléthore d’objets au somptueux design que nous aimerions posséder ou offrir. Tous portent la signature d’Alfredo Häberli – sa passion et son inspiration. Si nous nous tenions à ses plus grandes créations, cet article ne suffirait pas à leur rendre justice. Aussi, nous aborderons le designer en évoquant un petit objet qui constitue l’une de ses plus grandes œuvres, du moins en termes de présence. Il s’agit d’un petit bol qui fait partie de la vaste collection de vaisselle Origo de la marque finlandaise Iittala. Alfredo Häberli a imaginé de joyeuses rayures multicolores pour ce récipient unique en son genre prédestiné à égayer les tables du monde entier. Si le bol était une robe, on pourrait facilement attribuer ses rayures au créateur de mode britannique Paul Smith. Mais l’objet d’Alfredo Häberli est révélateur de bien d’autres influences dans le processus créatif de leur auteur : si la grande richesse de couleurs trahit les origines sud-américaines du designer, la possibilité d’empiler les bols, soucoupes ou assiettes et leur utilitarisme en tant que contenants alimentaires reflètent merveilleusement le rationalisme qui caractérise Alfredo Häberli. Pour le Suisse qui sommeille en lui, la praticité jouera toujours un rôle important.

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Inspiration
Toujours à l’affût de la beauté. Que ce soit celle de sa Porsche 911 de 1976 ou du panorama du lac de Zurich.

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Moodboard
Sur le mur de son studio, le designer a toujours ses ébauches dans son champ de vision.

Toujours dans le cadre de sa collaboration avec Iittala, une autre de ses créations connaît un succès encore plus grand – la collection de verres Essence. Spontanément, le designer s’installe avec papier et crayon à son bureau et esquisse brièvement le verre devenu un classique de la marque. Les verres se distinguent par un indescriptible caractère anguleux et doux à la fois. Leur création date d’il y a vingt ans, mais ils sont restés un best-seller. Alfredo Häberli, âgé de 57 ans, ne s’arrête jamais de dessiner. Récemment, il a d’ailleurs imaginé un service de vaisselle assorti aux verres. En 2021, la galerie de design de la marque finlandaise à Helsinki a consacré une exposition à ses œuvres. La surface de présentation était immense, un véritable océan de formes et de couleurs.

Son brillant destin n’était pas forcément écrit d’avance lorsque le jeune Alfredo quitte l’Argentine avec ses parents, en 1977, pour s’expatrier en Suisse. Comme le nom de famille le laisse deviner, ses ancêtres étaient originaires de la république alpine. Avant de partir, l’adolescent avait emporté dans son sac à dos, sa voiture miniature Matchbox n° 14 préférée, une Iso Grifo. L’élégant coupé sportif né à la fin des années 1960 avait été dessiné par Giorgio Giugiaro pour Bertone. « Je crois que la fascination que je vouais à la forme de ce jouet est une des raisons qui ont conduit à ce que je devienne designer ». Dans tous les cas, il entretient quasiment depuis sa naissance un lien particulier avec les voitures : il a grandi à Córdoba, à seulement quelques kilomètres du circuit automobile Autódromo Oscar Cabalén.

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Ses fauteuils
Le designer a notamment créé Take a Line For a Walk pour Moroso (devant à droite) et Time (juste derrière, en noir) pour Alias.

La carrière d’Alfredo Häberli a connu une trajectoire aussi linéaire et précise qu’une horloge suisse. Il décroche son diplôme de designer industriel avec mention à la haute école de design de Zurich. Le génie avec lequel il réussit déjà à transmettre son enthousiasme pour le design lui permet de nouer rapidement des contacts, notamment dans l’industrie du meuble. Son physique avantageux y a sans doute aussi été pour quelque chose : Alfredo Häberli aurait très bien pu s’offrir une carrière dans le mannequinat. Activité à laquelle il s’adonnera occasionnellement. « Mais plus pour le plaisir et pour des personnes que je connaissais bien », minimise-t-il. Son talent pour les défilés sera à l’origine de l’un des tournants de sa vie : « Nous, les étudiants en design industriel, étions au deuxième étage à Zurich, et les stylistes de mode au cinquième. Leurs budgets étaient toujours insuffisants pour leurs présentations. Alors nous leur avons construit des podiums, sur lesquels j’ai aussi tout de suite défilé », se souvient-il. « Dans les étages intermédiaires, il y avait les étudiants en graphisme – c’est là que j’ai fait la connaissance de ma femme, Stefanie. » C’était il y a 33 ans. Leurs deux enfants sont déjà grands aujourd’hui. Le couple a déjà réalisé des projets de design commun.

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Alfredo Häberli
« La 911 est simplement sans pareil. »

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Ton sur ton
L’intérieur beige/brun en cuir synthétique et tweed forme un mariage parfait avec la carrosserie Platine métallisé. Pour la séance photo, Alfredo Häberli a choisi une tenue vestimentaire assortie.

L’automobile est restée une source d’inspiration constante dans son travail. Il s’est notamment approprié les principes de design de la Porsche 911 : « Peu de jointures, une forme d’un seul tenant, très sculpturale », confie-t-il. « C’est aussi ce but-là que je poursuis dans mes designs : créer des émotions fortes avec des lignes les plus épurées possibles. » Une petite phrase qui en dit long et résume à merveille son naturel suisse-argentin – à la croisée de la précision et de la poésie.

La 911 d’Alfredo Häberli est l’un des premiers coupés de la série G, datant de l’année 1976. « Elle ne s’encombre de rien qui ne soit pas strictement nécessaire ! », s’enthousiasme-t-il à propos des lignes de la voiture. « C’est comme cela qu’on s’approche de la forme parfaite. La 911 est sans pareil. » Il a également été séduit par l’association de la couleur de la carrosserie et de l’intérieur : « La peinture ‘Platine métallisé’ est une nuance dorée qui fait miroiter des reflets argentés en fonction de la lumière », s’exclame-t-il. L’habitacle est habillé de cuir synthétique beige, avec des rayures en tweed. « Une association très rare ! »

Qu’il s’agisse de voitures, de paysages ou d’un casque de hockey sur glace, comme celui qu’il admire à l’instant sur sa bibliothèque, Alfredo Häberli regarde avec attention tout ce qui l’entoure. C’est ainsi que de nouvelles idées font leur chemin dans son imagination. « Observer », dit-il, « est la plus belle forme de pensée. » Dans son studio, il murit ses observations et réflexions jusqu’à créer des produits intelligents à la personnalité unique.

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Beaux et pratiques
Origo d’Iittala, des bols empilables qui allient fonction et esthétique.

Certaines sources d’inspiration ont parfois même l’honneur d’apparaître directement dans le nom de ses créations. « Un dessin est simplement une ligne qui fait une promenade », a expliqué Paul Klee : il ne s’agirait pas d’aller d’un point A vers un point B, mais d’errer tel un chien ou de planer tel un oiseau. Cette célèbre citation du peintre cubiste a ainsi inspiré Alfredo Häberli dans le choix du nom de l’un de ses fauteuils : Take a Line For a Walk. Conçu en 2003 pour la marque avant-gardiste italienne Moroso, ce fauteuil au profil remarquable est lui aussi devenu une référence.

Dans son studio situé sur la rive est du lac de Zurich, Alfredo Häberli s’est entouré d’une petite équipe. « Nous ne sommes que quatre. » Pour les grands projets comme l’intérieur du 25hours Hotel Zurich West, qu’il a aménagé avec son épouse, ou des études sur l’électromobilité, il embauche des designers indépendants le temps d’une mission.

« Observer est pour moi la plus belle forme de pensée. »

Alfredo Häberli

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Du génie au bout des doigts
Même le crayon à dessin qu’il promène sur le papier est né de l’imagination du professionnel du design. Dans son studio, il s’est entouré d’une petite équipe.

Après une virée en 911, il est l’heure de faire la prochaine promenade artistique. Alfredo Häberli s’installe à nouveau à sa table de travail. Il a lui-même conçu le crayon qu’il utilise : il s’agit du nouveau modèle de la marque suisse Caran d’Ache, le porte-mine Fixpencil avec des mines de couleur. Avec lui, il laisse maintenant libre cours à son imagination. Peut-être d’ailleurs est-il sur le point de tracer son prochain objet-culte.

Texte Robert Hofman
Photos Christian Grund