Porsche - Le tour du monde en soixante-dix jours

Le tour du monde en soixante-dix jours

Faire le tour du monde en dix semaines seulement : tel est le défi logistique que doit relever l’équipe usine Porsche pendant le Championnat du Monde d’Endurance – une performance à part entière !

Urs Kuratle se tient devant l’atelier du département Compétition du Centre de développement de Weissach, entouré de douze palettes aéronautiques de plus de trois mètres sur deux – des bagages tout ce qu’il y a de plus habituel pour lui. L’aluminium des palettes flambant neuves brille au soleil. Il s’agit de l’équipement de base du fret aérien de Porsche pour les courses du Championnat du Monde d’Endurance. Pourquoi douze palettes ? Le chef des opérations en a calculé le nombre nécessaire des mois auparavant. Le fret aérien est coûteux et complexe. Urs Kuratle réfléchit un court instant à l’explication la plus claire : « C’est comme Tetris », explique-t-il. Il faut que tout s’imbrique parfaitement.

Dans ce jeu vidéo devenu culte, les pièces tombent sans interruption du haut de l’écran et doivent être rangées le plus vite possible sans former d’espace vide. La tâche du logisticien est similaire : garantir un rangement rapide sans espace perdu. Sauf qu’il ne peut pas faire « nouvelle partie » dès qu’un bloc ne lui plaît pas. Le matériel nécessaire aux deux Porsche 919 Hybrid doit être livré à temps et dans son intégralité. À l’exception de trois courses en Europe, tous les circuits accueillant le Championnat du Monde d’Endurance FIA se situent cette année très loin de Weissach. La tournée mondiale a ainsi débuté à Austin, au Texas, sur le Circuit des Amériques, pour continuer à Fuji au Japon, puis dans la métropole chinoise de Shanghai, suivie du Royaume de Bahreïn, pour s’achever à São Paulo, au Brésil. Soit quelque 40 000 km de fret aérien – une distance qui correspond quasiment à la circonférence de la Terre.

Le châssis de rechange de la 919 Hybrid est réduit à l’essentiel et voyage dans une caisse spéciale
Les systèmes de chauffage d’huile moteur sont du voyage, tout comme les élévateurs de moteur

Le bruit se fait plus fort. Approchant à 270 km/h, l’avion cargo affrété par DHL se pose sur la piste de l’aéroport de Francfort-Hahn. Il s’agit d’un Boeing 747 – sans doute le seul avion dont le nez caractéristique ne se confonde avec aucun autre, tout comme la ligne d’une Porsche 911. Le nuage dû au frottement de la gomme sur l’asphalte se dissipe, l’appareil atteint sa place de stationnement. Tout autour, le rythme s’accélère. Les plateformes de levage acheminent les conteneurs arrivés de Weissach et, une bonne demi-heure plus tard, les soutes sont pleines, à peine passe-t-on encore dans d’étroites allées. Tout est solidement arrimé. Rien n’est laissé au hasard, chaque opération suit un protocole précis.

Mais nous ne sommes pas dans l’avion de Mary Poppins. Il faut exploiter au maximum l’espace disponible en hauteur, en largeur, en profondeur et en inclinaison, en respectant la même logique que lors de n’importe quel déménagement : associer les livres et les vêtements pour éviter que les cartons ne soient trop lourds. Le paramètre suivant est tout aussi logique que le premier : on met devant ce dont on aura besoin en priorité à l’arrivée. À la maison, on gribouille sur le carton ce qu’on a mis dedans et dans quelle pièce il doit aller, on glisse encore ça et là quelques bricoles et on s’énerve en l’ouvrant de ne pas y trouver ce qui est écrit. Mais on arrive toujours à s’en sortir en déplaçant quelques cartons. Ici, avec des conteneurs de trois tonnes, difficile d’en pousser un pour accéder au suivant. L’aménagement du stand commence toujours par la pose des câbles d’alimentation, alors pourvu qu’ils soient au bon endroit !

Les deux 919 Hybrid voyagent débarrassées de tous les éléments fragiles et dissimulées aux yeux des curieux

Porsche utilise des conteneurs sur mesure, fabriqués aux dimensions exactes des soutes d’avion : plus ou moins inclinés ou plats, dans des formes parfois spécialement adaptées au niveau inférieur des soutes. Ces conteneurs spéciaux ont leur histoire. « Autrefois, on empilait les caisses les unes sur les autres, on les arrimait avec un filet pour que tout rentre au mieux dans les soutes et c’était bon », se souvient Urs Kuratle, qui a travaillé pendant près de vingt ans pour le Team Sauber en Formule 1. Pendant longtemps, la référence est restée le transport routier. Pour les conteneurs transportés par cargo, cette organisation suffisait. Mais pour le transport aérien, un changement s’est rapidement imposé. Urs Kuratle trouvait que l’empilement des caisses entraînait une énorme perte d’espace avec un surcoût inutile. L’équipe usine de Porsche a donc mis au point les premières caisses sur mesure, devenant le pionnier en termes d’économies de volume de fret. Mais sa réflexion ne s’est pas arrêtée là. Les conteneurs de Porsche sont les plus efficaces du sport automobile. Urs Kuratle tape sur l’une des fines parois en aluminium : « Notre Q7, qui est le plus grand de nos conteneurs, pèse 120 kilos de moins que tous les autres de même taille. » Il peut être chargé sans filet de sécurité, ce qui offre une hauteur de chargement supplémentaire de 1,3 centimètre. Cela représente une économie substantielle en termes de poids et de coût. À l’intérieur des conteneurs, le puzzle devient de plus en plus complexe. La liste de fret contient plusieurs milliers de postes. Pour que chacun y trouve sa place, tout objet acheté doit être apte au transport outre-mer – qu’il s’agisse de la caisse à outils, de l’emballage des casques ou de la caisse qui abrite le moteur.

Michael Antl et Markus Bürger sont chargés de mettre le système en application. Le premier est responsable de l’entrepôt et de la préparation du travail. Il veille à ce que toutes les pièces de rechange automobiles nécessaires soient inscrites sur la liste de fret, y compris les documents correspondant au niveau de développement et au kilométrage. C’est donc également lui qui est chargé d’organiser le transport aérien des pièces à changer entre les différentes courses internationales, par exemple lorsque les moteurs deux litres quatre cylindres doivent faire l’objet d’une révision à Weissach. « Nous l’avons fait pour la première fois pour le Championnat du Monde d’Endurance de 2014 », explique Michael Antl, « les durées de vie des différents composants sont définies, leur remplacement est donc prévisible. Mais les pannes ou les dommages suite à des accidents exigent une plus grande flexibilité. » Il faut savoir anticiper car même les vols en open jaw doivent être réservés à l’avance. Il ne s’agit plus d’un charter affrété exclusivement pour la course mais d’espace de fret disponible dans des avions de ligne.

Champions de la logistique : Urs Kuratle, Markus Bürger et Michael Antl (de g. à dr.) au départ de Weissach

Markus Bürger, responsable logistique et transport de l’équipe, est chargé de gérer les douze palettes. Chacune est en outre affectée à une personne distincte, présente lors du chargement et du déchargement. « Cette méthode nous permet de garder en tête les contenus pour ranger les palettes dans le bon ordre », explique Markus Bürger. Chacune reçoit un numéro d’identification unique et toutes les pièces emballées à l’intérieur sont pourvues d’un code QR, ce qui permet de lire au scanner le contenu et son agencement. Ce rangement est indispensable non seulement pour des raisons de coût et d’efficacité de travail, mais également à des fins de contrôle douanier. Qu’il s’agisse des numéros de série des 120 appareils radio, du nombre de pièces de châssis à embarquer, des sachets de vis ou des rouleaux d’adhésifs, l’équipe Porsche réalise un énorme travail en amont afin de tout documenter. Le matériel envoyé doit également revenir en Allemagne. Les conteneurs sont passés aux rayons X et les services douaniers peuvent entièrement les déballer et en examiner chaque pièce une par une. Il faut donc prévoir une marge de temps adéquate.

Les produits dangereux voyagent séparément : colles et résines, sprays et batteries ion-lithium utilisées sur le moteur hybride de la Porsche 919. Les batteries des prototypes doivent même recevoir l’agrément de l’Autorité fédérale de l’aviation civile allemande (LBA), mais aussi de ses homologues aux États-Unis, au Japon, en Chine, à Bahreïn et au Brésil. La longue expérience de Porsche en matière de motorisation hybride constitue une aide non négligeable pendant tout le déroulement de ces opérations. Il n’en reste pas moins que ces procédures prennent du temps. De plus, les marchandises dangereuses doivent être mises au repos dans un espace sécurisé 48 heures avant et après chaque voyage. Le carburant est fourni par Shell, partenaire de Porsche, et ExxonMobil livre tous les lubrifiants et huiles directement sur les circuits. Michelin fournit les pneumatiques. Tout s’imbrique.

À l’aéroport de Francfort-Hahn, 35 tonnes de fret sont chargées à bord d’un Boeing 747 affrété par DHL
Le matériel est rapidement chargé à bord, mais l’arrimage des voitures de course prend de longues heures

Certains équipements sont transportés par voie maritime, un acheminement beaucoup moins coûteux mais extrêmement lent : ce qui est expédié en août ne revient qu’en janvier. Et il faut compter deux voire trois expéditions. Étant donné l’importance des distances à parcourir, trois transports maritimes sont en effet affrétés simultanément pour le Team Porsche afin d’acheminer les pièces lourdes mais de moindre valeur, comme les poteaux de guidage. Au lieu de transporter vingt de ces poteaux extrêmement lourds tout autour du monde par avion, il est moins coûteux d’en acheter soixante et de les expédier par bateau. Ils voyagent en compagnie des sièges, des cloisons de stand ou encore des systèmes d’alimentation des garages. Même en se limitant à l’indispensable, le volume est très conséquent.

L’équipe Porsche lors de l’arrêt au stand de la 919 Hybrid de Romain Dumas, Neel Jani et Marc Lieb à Austin, Texas

Concentrons-nous. N’avons-nous rien oublié ? Et les voitures de course ? Elles sont réduites à leur strict minimum : les deux bolides sont arrimés sur des racks spéciaux, tous les liquides sont purgés, les pièces de carrosserie sensibles comme les rétroviseurs ou les ailes avant et arrière sont emballées et sécurisées séparément, des pneus usagés sont montés en lieu et place du jeu habituel pour la durée du voyage. Le poids est minutieusement calculé et planifié. Le châssis de rechange, une monocoque dépourvue de supports de roue et d’essieux, est mis en caisse.

Les moteurs du 747 ronflent à nouveau. Prêt au décollage. L’appareil s’élance sur la piste et s’élève dans les airs pour n’être bientôt plus qu’un point noir dans le ciel. Dans la course logistique, l’essentiel est de partir à point.

Texte Heike Hientzsch
Photos Victor Jon Goico


Les itinéraires

Plus d’une fois la circonférence de la Terre, c’est la distance que parcourt par voie aérienne ou maritime l’équipement Porsche pour les courses du Championnat du Monde d’Endurance qui se tiennent hors d’Europe, à Austin (États-Unis, le 21/09), Fuji (Japon, le 12/10), Shanghai (Chine, le 02/11), Sakhir (Bahreïn, le 15/11) et São Paulo (Brésil, le 30/11). Trois expéditions maritimes ont lieu simultanément.